cover-femme-defaite1. Quel est le « pitch » de La Femme défaite ?

Mon Dieu, on se croirait chez Ardisson ! Ben, c’est l’histoire d’un mec et d’une nana qui se kiffent mais qui n’arrivent pas à aboutir, si je résume platement. Si je résume intelligemment, c’est une histoire autour de l’impossibilité du désir quand tout s’emmêle, et s’en mêle…

2. D’où est venue l’idée d’écrire ce livre ?

De Hiroshima mon amour, mon film fétiche, visionné pour la énième fois alors41V0oDlJMlL._AA160_ que j’avais commencé à écrire ce livre – ou en tout cas j’en avais l’idée, mais que je ne savais pas encore très bien où il allait. En admirant, pour la énième fois aussi, la maestria avec laquelle Duras avait réussi à amalgamer la rencontre de l’infirmière et de l’architecte japonais avec une rencontre antérieure datant de la guerre, j’ai eu cette idée d’éclatement, et d’amalgamer alors la rencontre actuelle de mes héros avec plusieurs rencontres anciennes, le protagoniste masculin prenant tour à tour le visage d’amants précédents avec lesquels la rencontre s’était concrétisée, elle, même si cela s’était fait dans une sorte de violence, parfois.

3. En quoi ce livre est-il particulier dans votre bibliographie ?

41cenVuKWIL._AA160_C’est mon quatrième ouvrage, publié après deux booklegs (mini-livres) chez Maelström (Bruxelles), La Femme sans nom et La Ville de la Pluie et, comme porté par un souffle, il s’est écrit, pour la première mouture en tout cas, en dix jours et en dix nuits quasiment non stop, ce qui fut quelque peu éprouvant ! Le souci c’est qu’il a été écrit il y a plus de dix ans et que, tout comme Le Bûcher des anges, mon premier roman, il a mis très longtemps à être édité. Du coup, dans ces deux cas, deux particularités qui se rejoignent : au moment où je parviens à être éditée, une bonne dizaine d’années s’est écoulée, ce qui signifie, et d’une que je ne suis plus du tout dans le livre, et de deux que mon style, en constante évolution comme tout style qui se respecte, n’existe déjà plus au moment où sort le roman…

4. La Femme défaite, qui peut paraître assez déroutant à première vue, est pourtant très facile à lire… Quel est donc votre secret stylistique, Edith Soonckindt ?

Si j’avais un quelconque secret, vous pensez bien que je ne le vous livreraisEdith1 pas, il serait jalousement gardé ! En fait je n’en ai pas, ou si j’en ai un, je l’ignore ; je ne cherche ni la simplicité ni la difficulté, dans mon écriture, j’écris. Tout au plus ai-je un imaginaire, un style, bien particuliers qui découlent d’un état d’esprit et d’une vision du monde qui le sont aussi. Et ça sort comme ça sort, différemment selon les périodes (voir question 3). Puis je réécris, et là je peux chercher des effets, entre autres stylistiques ; à cette époque-là ils étaient calqués sur le souffle. Personnellement je ne trouve pas La Femme défaite si facile à lire, en dépit des phrases qui le sont (quand elles ne sont pas ponctuées bizarrement…), car il faut avant tout adhérer à un concept un peu particulier pour un roman, celui d’un dialogue en continu ! Beaucoup pensent que j’ai écrit une pièce de théâtre. Non, non et non, au départ La Femme défaite est bien un roman ! Qui s’est imposé à moi sous forme de dialogue, je n’ai pas choisi. Il s’est écrit en moi pendant des jours entiers sous cette forme-là, jusqu’à ce que je comprenne que si je ne me dépêchais pas de consigner tout cela sur le papier, j’allais perdre nombre de phrases, d’idées, et que cette avalanche finirait par se tarir. Cela étant, je ne suis bien sûr pas opposée à une mise en scène théâtrale si elle devait tenter quelqu’un, je trouverais même ça très intéressant, mais je tiens juste à souligner que ce n’était pas mon idée de départ. D’ailleurs, il n’y a pas de didascalies. Je n’ai voulu de rien qui risque d’entraver le texte, de le brider, de le morceler. C’est lui mon maître, et j’ai souhaité lui laisser toute sa liberté.

5. Y a-t-il un lien entre la prose poétique que vous pratiquez dans vos autres ouvrages et les dialogues, à la fois très élaborés et très instinctifs, dont se compose La Femme défaite ?

9bis.la ville de la pluie.jpgDe nouveau, se pose ici le souci de mon style, qui n’est jamais mon style actuel au moment de la sortie d’un livre – sauf pour les booklegs qui répondaient à un appel d’offres et où l’édition a suivi l’écriture de très peu. La Femme défaite date d’une époque où j’essayais déjà d’épurer mon style – nettement moins chargé que dans Le Bûcher des anges par exemple, publié dix ans auparavant et écrit… il y a vingt ans ! Donc le lien serait une évolution de mon style, que j’affine de livre en livre. Son dernier exemple le plus probant se trouve dans La Ville de la Pluie où je suis davantage dans une écriture blanche, qui sans être plate (du moins je l’espère) est nettement plus simple. La prose poétique est l’écriture de mes débuts, et j’ai malheureusement mis du temps à comprendre qu’elle ne me facilitait pas la publication (trop symboliste et obscure). La Femme défaite est une écriture intermédiaire, qui porte encore des cicatrices de mon écriture première, entre autre au niveau de la ponctuation. Elle ne m’a pas rendu la publication plus facile non plus, mais là c’était lié à la structure dialoguée du récit, qui a dû dérouter des tas de gens, les éditeurs en tout cas.

6. Comment avez-vous conçu vos personnages ? Il n’y en a que deux, dans ce roman : une femme et un homme ; et pourtant, ils sont multiples. Expliquez-nous !

Cela rejoint ce que j’ai expliqué en question 2 et 3. Effectivement, ils ne sontimages-1 que deux, et en même temps ils sont des centaines, surtout au niveau du personnage masculin. Il n’y a pas eu d’élaboration consciente de ma part. Comme je l’ai déjà expliqué, j’ai « reçu » ce texte (ma part inconsciente ? certaines critiques ont parlé d’écriture automatique et ça n’en était pas loin en effet) et m’en suis débrouillée comme j’ai pu, tentant d’organiser le chaos et trouvant, parfois, des « illuminations » en cours de route… On est donc loin d’une écriture consciente, réfléchie, élaborée, idem pour les personnages, plutôt un stream of consciousness qui, dans mon cas, ne m’a pas permis d’élaborer, conscientiser ou encore structurer grand chose – et ça peut être un handicap, bien sûr. J’ai suivi des phrases, les laissant m’emmener là où elles le voulaient, dans un texte pareil ce n’est hélas pas l’auteur qui mène la danse, sauf au stade de la réécriture bien sûr, où là il est sommé d’organiser (un minimum) le chaos.

7. Plusieurs figures des personnages se superposent et défilent à la fois, comme si l’espace et le temps n’étaient plus soumis aux règles de la physique… Embarquez-vous votre lecteur dans un rêve ?

Unknown-1Certainement que j’ai voulu, ou en tout cas espéré, embarquer le lecteur avec moi dans un texte onirique qui, dans ce cas précis, a tout du maelström ! Mais c’est un peu le rêve secret de tout auteur, non ? Qu’on le suive, jusqu’au bout de préférence… Vu l’état second dans lequel j’ai écrit ce livre (sans l’influence de drogues ni d’alcool, je tiens à le préciser !), il n’est pas étonnant que l’on assiste à plusieurs télescopages, au niveau de l’espace-temps, certes, mais au niveau des personnages aussi, vous l’avez évoqué, et aussi des lieux géographiques, New York obturant Bruxelles, qui elle-même obturait Varsovie et bien d’autres, sans parler d’Anazabia, ville mythique créée de toutes pièces, sur laquelle je me suis expliquée ici. Cette ville-là n’en obture aucune autre d’ailleurs, elle est bien à part, inconnue encore, une ville vers laquelle tendent les espoirs des deux protagonistes alors que les autres ne sont que des villes de passage.

8. Vos personnages se livrent à une lutte assez rude. Croyez-vous en la guerre des sexes ?

Un peu, j’imagine, la vieille lutte masculin/féminin, issue de toutes leursimages différences, qui n’est pas un thème neuf non plus. Je ne sais même pas si j’ai tenté de le moderniser. En fait je n’ai rien tenté, dans ce livre, rien élaboré, rien construit (quelle paresse !), j’ai subi, en quelque sorte, ou disons plutôt que j’ai accueilli ce flux que m’envoyait l’inconscient. Que j’ai tenté tant bien que mal d’organiser en texte, et cela n’a pas été évident. C’est là que mon travail est intervenu, après, sachant qu’écrire c’est réécrire, tous les auteurs ne le savent que trop. L’éditeur qui a eu le bon goût de choisir ce texte a apporté sa propre part de travail ensuite, proposant de multiples coupes qui ont réduit le texte de moitié ! J’ai tiqué au départ, pour finir par admettre que c’était une bonne idée, noyée que j’étais demeurée, en dépit des réécritures au fil des ans, dans un flot de répétitions et de concepts qui tournaient un peu trop en boucle et pouvaient lasser.

9. Quels sont les modèles de la ville imaginaire d’Anazabia ?

Unknown-2Il n’y en a pas, pas vraiment, c’est une ville inventée, créée de toutes pièces, le pur fruit de mon imagination, un mélange de voyages et d’impressions, personnelles, ou non, avec tout de même une toile de fond nord-africaine dont je me suis expliquée ici. Sémantiquement, Anazabia est la confluence d’Annaba, Bône, où est née ma grand-mère paternelle, et de Bizerte où elle a habité ensuite (les deux sont en Tunisie) et dont j’ai gardé le seul Z pour créer Anazabia. De nouveau, là aussi je n’ai rien choisi consciemment, tout m’a été donné comme une évidence. J’ignore donc les raisons profondes à un tel choix… Il faudrait sûrement chercher du côté du transgénérationnel et de la psychogénéalogie. Mes autres ancêtres ayant été cap- horniers et pêcheurs d’Islande, Anazabia aurait aussi bien pu atterrir dans le grand Nord, mais j’ai dû trouver ça moins porteur pour l’imaginaire, à supposer que mon inconscient m’ait demandé mon avis sur le sujet… Nul doute que je porte en moi des traces, des fragments plus vifs du passé pied-noir de ma famille, dont je me suis déjà expliquée ici, dans une autre interview.

10. Quelle est la place de la Shoah dans ce livre et dans votre œuvre en général ?

Ah, elle est elle importante, certainement, au même titre que l’exil et la folie. C’est un sujet qui me fascineUnknown-3 depuis toujours, ma famille ayant caché, et sauvé, une famille juive de nombreux mois durant la dernière guerre. Cela m’a inspiré un article (dans une Revue du Rouergue aujourd’hui épuisée) ainsi qu’un roman.
La Shoah apparaît en filigrane dans nombre de mes écrits (y compris tous ceux qui sont inédits), dont La Femme défaite qui tourne autour de la rencontre initiale entre Hans Vögel, officier allemand, et Zara, la belle Juive. Même si les identités permutent en cours de route, ce pivot reste central.
Parce que c’est un traumatisme encore vivant au XXIe et qui risque, peu ou prou, de redevenir d’actualité avec les résurgences fascistes auxquelles nous assistons un peu partout en Europe. Parce que cet événement m’a profondément marquée, et parce que la lutte antifasciste me tient à cœur, je ne peux faire autrement que d’en parler dans mes écrits, ce de diverses manières. C’est un incontournable historique qui plante un certain décor, une certaine ambiance, qui me parlent infiniment. D’où mon envie, voire mon besoin, d’en parler. Encore et encore. Jusqu’à ce qu’un jour je m’en lasse moi-même ?

11. Pour qui avez-vous écrit La Femme défaite ?

cover-femme-defaiteSi je le savais, je n’aurais pas eu besoin de l’écrire…
Trêve de pirouette, en même temps la genèse de ce vrai-faux roman est lointaine, près de quinze ans, mes souvenirs sont flous.
Ce n’était pas une tentative de séduction en tout cas.
Sans doute ai-je tenté d’organiser un certain chaos en moi ?
Peut-être ai-je voulu laisser une trace publique d’une relation qui m’avait marquée, et qui était déjà terminée au moment de cette écriture ? Elle n’était pas spécialement importante, mais elle était particulière, et c’est cette particularité que j’ai décidé de développer, sur le mode littéraire, fictionnel, hors du réel. Car, dans cette histoire comme dans toute histoire qui se respecte, tout est vrai et rien ne l’est…
Sincèrement, je ne me souviens plus très bien. Et c’est ça qui est intéressant, justement, ce flou non artistique !

12. Qu’écrivez-vous aujourd’hui ?

Oh là, des tas de choses, les projets ne manquent pas ! Je doute vivre encoreUnknown-4 suffisamment d’années pour en venir à bout (sans parler des inédits qui attendent sagement leur tour). J’écris à petit pas un livre sur l’écriture, je viens d’en boucler un autre sur mon métier de traductrice. Surtout, je peaufine une sorte de suite à La Ville de la Pluie, mon troisième opus. Et puis je tente d’avancer sur un recueil de nouvelles autour d’un sujet d’actualité, c’est à la fois très exaltant et très difficile parce que j’essaye de faire ça dans un style simple afin d’éviter le purgatoire des dix années d’attente avant publication ; or ce style simple, je ne le trouve pas très exaltant, donc beaucoup de travail en perspective pour le rendre « intéressant ». J’ai effectué un retour vers la nouvelle (mes premières amours) en participant à la cuvée 2016 du Prix Hemingway et ce fut douloureux (résultats en attente), bien que très intéressant. Cela m’a aussi remis le pied à l’étrier avec bonheur, dans cette sorte de rapport sado-maso qu’il n’est pas inhabituel d’entretenir avec l’écriture, pour certains auteurs en tout cas…

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