De l’administration et de ses ennuis…

Mardi dernier, le 16 octobre, j’aurais dû donner une conférence sur la traduction littéraire à l’Université de Strasbourg (ITRI). Pour de sombres raisons administratives que je vous épargne, cette rencontre n’a pas eu lieu et je le déplore, car elle m’aurait donné, pour la première fois depuis bien longtemps, l’occasion de rencontrer des étudiants aspirants traducteurs et de les informer des difficultés de cette profession de manière plus directe, et donc plus conviviale, que par le biais de cette newsletter.

Si j’avais rencontré ces étudiants strasbourgeois, je leur aurais dit quoi ?

Eh bien, je leur aurais sûrement parlé de l’utilité de leur formation, même si « à mon époque », l’on pouvait percer sans (mais sûrement plus difficilement) ; je les aurais encouragés à passer une année, voire plusieurs, en contrée autochtone de leur choix, et surtout à peaufiner au moins deux langues, dont  une dite « mineure » ; je leur aurais dit la chance dont il faut impérativement jouir, et qu’il faut savoir saisir quand on la croise, celle d’être au bon endroit au bon moment, pour réussir à mettre le pied à l’étrier, tout titulaire d’un beau diplôme que l’on soit ; en ce sens je leur aurais conseillé de faire un stage permettant de mettre leur fameux pied « dans la place » quelle qu’elle soit ; je leur aurais ensuite parlé du fameux échantillon à réussir pour décrocher le fameux premier contrat, et de l’importance des bonnes relations à entretenir pour en signer un deuxième… ; bien entendu, je leur aurais parlé de la nécessité de bien traduire son premier livre, que l’on soit en symbiose avec lui ou pas, pour s’en voir proposer un deuxième, et surtout pour que votre nom circule dans le « milieu » ; je leur aurais vanté l’indispensable nécessité de compétences, voire d’une spécialisation, et même de plusieurs ; je leur aurais dit combien il était important d’être méticuleux, respectueux du texte d’origine, mais encore plus respectueux de la langue française et de sa belle fluidité ; je les aurais encouragés à lire, encore et encore, en français ;  je leur aurais dit l’importance de la fiabilité, et du respect des délais ; je leur aurais parlé de l’humilité aussi, et puis de l’importance de ne refuser aucun texte quel qu’il soit parce que le travail est tellement imprévisible, dans ce métier ; je leur aurais vanté l’importance de la souplesse, qui m’a vu traduire de la littérature irlandaise et un éco-thriller américain, de la littérature anglaise très pointue et des best-sellers qui l’étaient moins, et aujourd’hui un roman historique au style imité du XVIIe… ; je leur aurais suggéré d’avoir impérativement un autre travail régulier à côté, ou un conjoint fortuné ; je leur aurais dit d’apprendre à cent fois sur le métier remettre leur ouvrage, et à être prêt à ce que ce ne soit jamais assez ; je leur aurais dit de savoir, eux, se remettre en question et encaisser les critiques, y compris celles des journalistes… ;  je leur aurais dit de savoir se battre avec les réviseurs maison quand il s’agit de défendre un texte auquel ces derniers n’ont rien compris ; parallèlement, je leur aurais dit d’éviter de s’accrocher avec l’éditeur leur ayant confié la traduction… ; je leur aurais dit d’anticiper des périodes de vaches maigres, voire passablement émaciées ; je leur aurais dit que même si tout se passait bien avec un éditeur ils pouvaient le perdre du jour au lendemain et voir la traduction d’un auteur fétiche confiée à une autre personne (cela vient de m’arriver !) sans raison apparente… ; je leur aurais dit de garder foi en eux néanmoins, mais pas leurs œufs dans le même panier ; je leur aurais dit que c’était un sacerdoce, et qu’il ne fallait pas songer à s’y lancer, et à durer, si l’on n’était pas extrêmement motivé ; je leur aurais dit de s’affilier professionnellement, et de courir les cocktails parisiens et autres salons du livre, en un mot, d’entretenir les relations humaines ; je leur aurais dit de ne pas compter s’enrichir avec ce métier, sauf miracle d’un best-seller annoncé (cela m’est arrivé, deux fois, mais c’est très rare) ; je leur aurais dit d’apprendre patience et endurance, et qu’en dépit d’une bonne réputation (durement acquise), un téléphone pouvait ne pas sonner durant de nombreux mois, car je leur aurais dit qu’il fallait aussi jouir de chance pour durer, autant qu’il en avait fallu pour débuter… Sûrement que je leur aurais dit aussi le plaisir qu’il y a à trouver l’expression juste, lorsque l’on y parvient ; sûrement que je leur aurais dit la fascinante alchimie consistant à savoir transformer  une langue en une autre d’égale qualité ; sûrement que je leur aurais dit le plaisir du travail bien fait, et celui d’être apprécié.

Je leur aurais dit !

Je leur aurais dit…

Des tas d’autres choses qui pour l’instant ne me viennent pas à l’esprit.

Surtout je leur aurais dit :

Qu’un traducteur averti en vaut deux et que ce n’est pas de trop pour faire face à la tâche !

Certainement leur aurais-je conseillé aussi de lire régulièrement cette newsletter et tous les articles traitant de la traduction sur ce site (voir l’onglet « traductrice » et le blog « traducteurs ») En s’abonnant ils gagneront même un magnifique e-book ! 😉

Et de me contacter si nécessaire, je serai toujours contente de répondre à leurs questions, quand je le puis.

Parce qu’un traducteur averti en vaut deux, je le répète.

Et que c’est un métier incroyablement difficile, et ingrat, dans lequel on ne l’est jamais suffisamment, surtout avant.

Amen.

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Un commentaire

  1. Bonjour,
    Je tiens à vous féliciter pour votre article « Lettre ouverte aux étudiants en traduction littéraire de Litiri ». Vos conseils sont précieux et votre expérience dans le domaine de la traduction littéraire est indéniable. J’ai particulièrement apprécié votre approche pragmatique pour réussir dans ce domaine. Je suis curieux de savoir comment vous avez développé votre connaissance de la littérature française et comment vous choisissez les projets de traduction sur lesquels vous travaillez. Merci encore pour cet article instructif et inspirant.